Les Lucs-sur-Boulogne, en Vendée, mercredi 13 novembre 2024. Sur le bord de la route, trois voitures sont déjà garées à l’entrée d’un champ. Une quatrième vient se stationner sur le bas-côté. Équipés de bottes, de parka et de bonnet, deux agriculteurs descendent du véhicule et se joignent au groupe d’une dizaine de personnes déjà présentes sur place. Depuis le matin, le défilé de curieux est incessant. Tous viennent voir la fameuse ensileuse à chenilles venue de Suisse. Cette machine, unique en son genre, tourne en effet sur le secteur depuis quelques jours, au grand soulagement des éleveurs présents avec leurs remorques. En effet, avant qu'elle n'arrive, ces derniers ont bien cru que leur maïs allait rester dans le champ tant les conditions climatiques étaient désastreuses. Les pluies abondantes tombées les semaines précédentes ont fortement humidifié les sols, rendant ainsi impossible l’entrée dans les parcelles d’une ensileuse classique à roues ou d’un ensemble tracteur-remorque.
Face à l’urgence de la situation, les agriculteurs du Grand Ouest ont beaucoup échangé sur les réseaux sociaux pendant le mois d’octobre. Certains contactent alors Frédéric Angéloz, entrepreneur de travaux agricoles basé en Suisse. La raison ? Ce dernier possède une ensileuse Claas Jaguar 990 avec chenilles Terra Trac, à l'arrière de laquelle est attelé un caisson Field Shuttle, également chenillé. Un montage que l’ETA a conçu et réalisé elle-même pour travailler dans les conditions les plus extrêmes. Face au désarroi des éleveurs, l'entrepreneur suisse n’a pas hésité une seconde. Une fois la campagne d’ensilage terminée chez lui, il charge son matériel sur un camion et prend la route en direction de la côte atlantique.
Pas de terre sur la route
« Cela fait vingt ans que j’utilise une ensileuse équipée d’un caisson tracté à l’arrière, souligne Frédéric Angéloz. Chez nous, en Suisse, le parcellaire agricole est souvent très imbriqué dans des zones résidentielles comprenant beaucoup de maisons et d’habitants. Mes clients agriculteurs veulent éviter de ramener de la terre sur la route, c’est pourquoi ils me demandent souvent d’intervenir avec cet ensemble. Le chauffeur de l’ensileuse tourne donc seul dans le champ, remplissant le caisson. Puis, toutes les sept à huit minutes, il va le vider dans la remorque de l’agriculteur qui reste stationnée en bord de route. Avec cette organisation, le tracteur et la benne n'entrent jamais dans la parcelle, et la propreté de la route est préservée. Cela abîme aussi beaucoup moins les sols. »
Modifications à l’atelier
Au départ, l’ETA utilisait une ensileuse Claas Jaguar 900 équipée d’un caisson Field Shuttle de la même marque. Le premier modèle, acheté en 2003, était équipé d’un double essieu avec quatre roues de 900 mm de largeur, et l’ensileuse n’avait pas de chenilles. Fin 2008, malgré la décision de Claas d’arrêter la production de ce caisson, Frédéric Angéloz a continué d’entretenir et d’utiliser sa machine pour satisfaire les demandes de sa clientèle locale. En 2019, il décide même d’aller plus loin en modifiant à l’atelier un autre caisson Field Shuttle trouvé d’occasion, qu'il équipe alors de chenilles Terra Trac. Il achète une Jaguar 960 TT possédant, elle aussi, des chenilles à l’avant et des roues à l’arrière. Cet essieu est démonté et remplacé par une liaison rigide entre l’arrière de l’ensileuse et le caisson. « Le premier montage a bien fonctionné, mais avec ses 653 ch, l’ensileuse 960 était un peu limitée en puissance pour tracter l’ensemble, explique-t-il. En 2022, j’ai préféré remplacer la machine par une Jaguar 990 de 925 ch. Cet ensemble est nettement plus performant et tourne désormais depuis deux campagnes. »
Marche en crabe
L’entrepreneur a réalisé lui-même toutes les adaptations en lien avec l’usine Claas. L’essieu arrière de la Jaguar 990 a été démonté, et son châssis renforcé. Côté moteur, quatre pompes hydrauliques supplémentaires ont été installées. Elles servent à alimenter les différentes fonctions du caisson, comme l’entraînement des chenilles ou la vidange. Un joystick de commandes spécifiques a été ajouté en cabine. Le chauffeur dispose aussi d’un écran depuis lequel il pilote toutes les fonctions du caisson, via un logiciel également développé par l’ETA. Pendant le travail, le chauffeur peut également sélectionner la marche en crabe afin de ne pas passer dans les mêmes traces que l’ensileuse.
À l’avant de cette machine, l’ETA a choisi un bec Claas Orbis de 7,5 m de largeur, soit dix rangs de maïs. La récolte se gère comme sur un chantier classique. Une fois le caisson de 40 m3 plein, le chauffeur vient se placer en bout de champ pour le vider dans une remorque.
Souvent, les tracteurs restent stationnés en bord de route ou juste à l’entrée du champ afin de ressortir rapidement. Grâce au joystick, le chauffeur vidange le caisson en le surélevant et en ouvrant la ridelle latérale. Le fond mouvant se met alors en route, et l’intégralité de la marchandise est évacuée dans la benne en 90 secondes environ. Une caméra placée en hauteur permet au chauffeur de l’ensileuse de suivre le remplissage de la remorque.
Ayant fait connaître sa machine par les réseaux sociaux, Frédéric Angéloz est aujourd’hui sollicité par des entrepreneurs de différents pays qui lui commandent le même équipement. « Cette campagne dans l’ouest de la France fut une belle expérience de vie, commente-t-il. J’ai conduit cette ensileuse en alternance avec un de mes chauffeurs. Durant plus d’un mois, nous avons rencontré beaucoup d’éleveurs, de la Vendée jusqu’en Normandie. Partout, l’accueil a été très chaleureux, et ce fut l’occasion de découvrir de nouveaux terroirs et d’autres manières de travailler. Du côté de la machine, nous avons aussi progressé en constatant, par exemple, que les chenilles n’aimaient pas trop les terres à cailloux. Nous travaillons donc actuellement à l’atelier sur des améliorations à apporter en collaboration avec Claas. Et, en effet, j’ai reçu des demandes de la part de plusieurs entrepreneurs pour leur fournir la même machine, notamment dans le nord de l’Europe. Là-bas, les conditions extrêmes, comme celles rencontrées cet automne en France, arrivent pratiquement deux années sur cinq. »
À lire aussi : Les 42 ensileuses automotrices du marché français