Matériel Agricole : Comment voyez-vous votre métier dans le futur en tant que constructeur de machines agricoles robotisées ?
Flavien Roussel : Les générations qui ont travaillé il y a trente ou soixante ans savent la pénibilité du labeur de l’époque. Tout progrès mécanique qui apportait confort ou gain de temps n’a jamais été victime d’un retour en arrière brutal. Plus récemment, les robots de traite sont le meilleur exemple des bénéfices pour un troupeau ainsi que pour l’organisation du travail des éleveurs. Notre futur sera de continuer à soulager et à apporter des solutions face à des enjeux qui changent en permanence. Ceci avec un objectif final : nourrir une population croissante en étant plus sobres.
M.A. : Comment seront résolus les problèmes des agriculteurs et de vos équipes demain ?
F.R. : Aujourd’hui, nos robots sont très bons pour effectuer des tâches simples et répétitives : placer un outil en terre au centimètre près, puis enchaîner les lignes et les demi-tours. Ils peuvent, par exemple, déclencher une séquence de débourrage de l’outil s’ils détectent du patinage ou des difficultés à tenir le cap. La prochaine étape est d’ajouter aux robots la capacité de détecter une imperfection au travail (par caméra et IA), de la corriger ou d’alerter le superviseur. Action qu’un chauffeur – attentif – réalise rapidement à ce jour.
M.A. : Qu’est-ce que la robotisation vous inspire ?
F.R. : Naïo Technologies a présenté son premier robot Oz en 2014. Destiné aux maraîchers, il était conçu pour désherber. Nos clients ont ensuite poussé pour qu’il sème. Nous avons alors élargi la gamme à la viticulture et aux grandes cultures. En une décennie, nous approchons les 500 unités mises en service dans le monde. Des travaux avec des constructeurs ont permis d’électrifier leurs outils pour les adapter aux robots. Grâce au système de sécurité certifié CE et à l’autonomie augmentée, plus besoin de surveillance et donc d’être « berger de robot ». Il faut tout de même avoir été formé, et les parcelles doivent être auditées. La robotisation doit être synonyme de sécurité et de sérénité. Chez Naïo Technologies, nous croyons que ce sujet est en effet incontournable pour démocratiser les robots autonomes.

M.A. : Quelles sont les caractéristiques essentielles de la machine agricole du futur ?
F.R. : Elle doit prendre sa part dans la décarbonation du secteur et faire des contraintes un atout. C’est une situation facile à illustrer en vigne quand les pluies accélèrent la pousse de l’herbe et la propagation du mildiou. Le désherbage mécanique implique souvent une augmentation de la fréquence des passages. Cette contrainte devient dès lors une opportunité pour collecter fréquemment les données sur l’état de la culture et nourrir des modèles de détection des maladies. Grâce à des capteurs embarqués, on facilite la décision à l’échelle de la parcelle. S’il faut traiter alors, le tracteur et le pulvérisateur interviennent le plus vite possible dans les meilleures conditions, pendant que le robot continue son désherbage mécanique.
M.A. : Si le climat évolue selon les prédictions des scientifiques, quel(s) changement(s) voyez-vous en tant que constructeur de machines agricoles ?
F.R. : Le manque de main-d’œuvre est criant, y compris sur des continents moins développés. Cela engendre un effet ciseau critique avec la variabilité de la météo qui restreint les fenêtres d’intervention. Notre mission, en tant que constructeur de robots agricoles et viticoles, c’est de dégager du temps aux producteurs pour affiner leurs décisions agroéconomiques en étant plus près du sol et un peu plus loin des machines. Nous contribuerons à compléter les parcs de matériels avec des robots légers (moins de 2 t par essieu) pour élargir les fenêtres de travail, en commençant plus tôt qu’un tracteur après les pluies. Mais aussi, par exemple, en éliminant des adventices au plus près des cultures à très basse vitesse.
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