Il y a une dizaine d’années, un groupe d’agriculteurs de la Mayenne se réunissent et réfléchissent à la création d’une installation capable de produire et d'injecter du gaz dans un réseau de transport proche. Il faut se remettre dans le contexte. En 2011, la France commence tout juste à soutenir les unités de méthanisation pour l’injection de biométhane dans les réseaux de gaz naturel. Après des échanges difficiles avec certains habitants locaux, un changement de site sur le papier et de longues procédures administratives, la mise en service a lieu en 2023.

Pas moins de 140 000 t de matières, majoritairement issues des fermes, sont désormais valorisées chaque année sur un sité basé à Livré-la-Touche. Elles permettant de couvrir les besoins en énergie des habitants de la communauté de communes du Pays de Craon. L’excédent est exporté vers le rebours(1). Le biométhane produit représente l’équivalent de la consommation électrique de 20 000 habitants. Une autre partie du biométhane est autoconsommée pour le chauffage d’une chaudière et comme carburant pour les camions appartenant au site de méthanisation. Pour ce faire, le site a sa propre station de bioGNV (biogaz naturel véhicule) avec prises normalisées.
Une économie circulaire époustouflante
Quelle stupéfaction de voir un site « agricole » moderne, répondant aux standards des plus belles industries. Interphone oblige, Régis Cournez, le responsable technique, m’accueille sur le site. Il manage les dix employés pleinement investis au sein de la structure. Cinq personnes suivent la biologie, contrôlent les flux de matières, pilotent l’installation et réalisent la petite maintenance, tandis que cinq autres sont totalement dédiées au transport des matières par camion. Le site a été conçu avec deux lignes de traitement distinctes, ceci afin d’obtenir sur l’une des deux un digestat normé, applicable sur les cultures biologiques d’une partie des adhérents. C’est le type d’intrant qui détermine cette faisabilité. En pénétrant dans la cour, côté gauche, un vaste hangar, dans le prolongement des bureaux, accueille l’impressionnant dispositif destiné aux incorporations de matières. Les semi-remorques ou les tracteurs agricoles entrent dans le bâtiment, vident directement les effluents solides dans la fosse. Une fourche à grappin automatique vient chercher régulièrement cette matière pour l’incorporer dans le process. De la même manière, les camions-citernes disposent de branchements spécifiques pour vider leur contenu. Les intrants du méthaniseur sont constitués à 85 % de fumier et de lisier, à 10 % de cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) – cultures semées et récoltées entre deux cultures principales – et à 5 % de coproduits issus de l’agro-industrie.

Une station de bioGNV pour une logistique interne en totale autonomie
Les adhérents d’Oudon Biogaz ont opté pour une station de recharge lente composée de cinq postes de remplissage. À la sortie de l’épurateur, le biométhane (biogaz épuré) est comprimé à la pression de remplissage de leurs camions, soit 200 bar, à l’aide de deux surpresseurs GNV de marque française Cirrus.
« Un camion fait quotidiennement de 250 à 300 km (de 8 à 10 heures en journée). Dès qu’un chauffeur se gare, il se branche. Le matin, il part donc avec le plein, qui lui apporte une autonomie d’environ 400 km, suffisante pour la journée. Nous avons prévu cinq places de parking et cinq branchements pour un éventuel camion supplémentaire [l'entreprise en possède quatre]. Grâce au bioGNV, nous économisons sur le prix au kilomètre, il n’y a plus de perte de temps au plein, et on supprime le risque de vol », se réjouit Régis Cournez. En moins de quelques secondes, le chauffeur clipse le tuyau et tourne la vanne.
En 2024, trois constructeurs de tracteurs routiers, Iveco, Scania et Volvo, déclinent, dans la catégorie des poids lourds de 44 t, une offre de moteur carburant au gaz. Au moment où les associés investissent, seuls deux constructeurs disposent de cet équipement. Le délai de livraison plus court d'Iveco oriente alors leur choix vers cette marque. Les quatre tracteurs Iveco Eurocargo, offrant 220 ch de puissance et 6,7 L de cylindrée, comportent chacun huit bouteilles de gaz d’une contenance d’environ 20-25 kg. À titre de comparaison, 1 kg de GNV permet de parcourir la même distance qu’un 1 L de gazole.

Les deux camions semi-remorques, pour leur part, ramènent les CIVE et les effluents d’élevage solides sur le site.
Une gestion de l’énergie
Pour optimiser la logistique, ces mêmes camions repartent du site avec du digestat solide afin de le stocker en tas chez les agriculteurs adhérents. Les deux camions-citernes, équipés de bras de pompage, permettent, quant à eux, d’emmener le digestat liquide vers les lagunes et poches déportées des adhérents et de récupérer, en retour, leurs effluents liquides.
« Le contre-voyage est possible au moins dans le tiers des allers-retours, ce qui n'est pas négligeable, indique Régis Cournez. Le prix d’acquisition d’un véhicule GNV est supérieur de 10 à 30 % à celui d’un véhicule diesel, selon la catégorie. Des aides peuvent permettent d’effacer ce surcoût à l’achat, comme le suramortissement avec la loi climat et résilience, et les aides de collectivités régionales et départementales. »
L'énergie électrique que demande une telle installation (agitateurs, etc.) est apportée, à hauteur de 30 %, grâce à l’aménagement de panneaux solaires. Oudon Biogaz a également fait le choix de s'équiper d’une chaudière au biogaz pour hygiéniser ses matières.
« D’ici à fin 2025, nous allons valoriser le CO2 de l’épuration du biogaz en le commercialisant. Ce bioCO2, qui représente une alternative au CO2 fossile, augmentera les bénéfices environnementaux », conclut Régis Cournez.
(1) La technique du rebours consiste à comprimer le biométhane non consommé sur un réseau de distribution, afin de l'injecter vers un réseau acceptant une pression supérieure. Elle permet ainsi le renvoi du gaz vers une zone de consommation plus éloignée.